Préambule

Il arrive un âge où l’on aspire à raconter des histoires vécues quand on portait des culottes courtes. Il me semble que ce moment est atteint. Il me titille depuis quelque temps et me presse avec de plus en plus d’insistance de coucher sur le papier ces aventures, anecdotes, souvenirs d’une prime jeunesse. Je viens de m’imbiber de l’élément marin pendant trois semaines sur l’île chère à mon cœur, l’île du bout du monde, là où tout finit, là où tout commence. Bref, le pays de l’authentique : Ouessant. L’âge m’a rattrapé, frappant à la porte des réminiscences juvéniles. Il m’a invité à écrire cette enfance en culottes courtes. Il est des instants qu’ainsi on ne peut refouler. La nécessité de les raviver s’impose alors. Je marchais le long du rivage fouetté par le vent de suroît, entre Keller et Cadoran. Plus j’avançais, plus les idées me balayaient l’esprit. Dans une sorte de bouffée bienfaisante, je rassemblais tout à fait naturellement des histoires qui m’avaient fait trotter sur d’autres rivages voici plus de cinquante ans. Alors la vague profonde, la lame de fond m’a projeté ce matin dans la mezzanine de ma maisonnette ancrée au milieu de la lande ouessantine. Niché dans la cabine de mon bateau de pierre, me voilà en train de rédiger une évocation de la prime période de ma modeste existence. Je suis à la manœuvre. Je hisse les voiles de mon retour vers l’insouciance du jeune âge. Je me revois dans la mansarde de mon grand-père paternel, ancien sous-marinier pendant la « Grande Guerre », si tant est que l’on puisse apposer des majuscules à ces mots. Je me revois dans son grenier de Saint-Brieuc, déjà en train d’observer le monde à travers deux petites lucarnes – vasistas – scrutant les mouvements des voisins, imaginant des voyages, ou tout simplement assis en tailleur à dévorer les pages jaunies de Bibi Fricotin ou les aventures non moins poussiéreuses des Pieds Nickelés.

Appuyé aujourd’hui sur une petite table, une autre lucarne – on dit désormais Velux – ouvre ma réflexion, mon imagination sur le monde de mon enfance normande. Oh ! je n’ai pas beaucoup à imaginer mais plutôt à raconter, à pêcher ce qui passe à proximité de ma plume, tel un fou de Bassan. Quelques notes s’entassaient sans doute dans les tiroirs de mon subconscient et, le trop-plein étant atteint, en quelque sorte la pleine mer, il fallait faire le ménage. En les peignant de la couleur adulte tout en gardant la fraîcheur enfantine. Heureusement, je suis resté un grand enfant, ou du moins je n’ai jamais perdu la flamme de ceux qui rêvent. Et le voyage, qu’il soit intérieur ou réel, très loin ou tout proche, a toujours guidé mes pas. Comme il a sans doute guidé ceux que je vais vous raconter. L’action se situe particulièrement à Granville, théâtre balnéaire de ma naissance, de mes premières années et de vacances enfantines. Espérons que ce bout de chemin commun ne manquera pas de voir ressurgir en vous des images de votre propre enfance. Je vous convie à le suivre. Le toit, comme un bonnet marin, me coiffe le chef. L’air le caresse et se laisse aller à un doux chuintement mêlé au proche ronronnement de l’océan, aux confins de l’Iroise. Il m’incite à vous emmener sur les bords de la Manche.

Lanvras, Ouessant, 26 avril 2009