L’HOMME DU DÉSERT

L’homme est assis, nu, au milieu du désert. Il est âgé. Sa chevelure blanche tranche avec son hâle brun. Ses yeux plissés, habitués à se figer sur l’horizon sablonneux, là où la crête des dunes flirte avec l’azur, sont d’un bleu clair et profond. Sous lui, le dôme de la dune s’affaisse légèrement, laissant échapper en contrebas quelques milliers de grains minéraux dont chacun ressemble à une perle transparente. La petite coulée glisse doucement jusqu’à la femme qui joue de la musique dans le creux. Elle caresse de son archet le violoncelle qu’elle a calé entre ses cuisses. La musicienne est également nue, seulement drapée d’un tulle léger bleu marine autour du cou, qui s’emmêle dans sa chevelure noire et longue ruisselant sur son dos. La femme semble plus jeune que l’homme. Il l’entend, mais ne la voit pas. Il la devine, la subodore, perçoit le son gracieux, mélancolique de sa musique qui s’étale dans le désert, mélangeant l’ocre du sable à la consistance presque palpable des notes. Tous ses sens sont en éveil. De longue date, il est venu s’imbiber de désert, de sérénité, de sagesse, de sensitif, seul le plaisir de la vie comptant désormais. Il a rencontré la femme ici, au pays des Touaregs et des nomades, là où la liberté se confond avec la beauté des lieux. Le soleil étire les ombres, sculptant les dunes moutonnantes, tel un océan infini jouant de ses vagues. Les rais s’appliquent à dorer la peau des deux êtres, sensibles à la chaleur bienfaitrice qu’ils provoquent en les léchant. La musculature de l’homme s’exhibe en pleine lumière saharienne, soulignée par l’envol de la musique au gré du souffle imperceptible du vent africain. Un coude posé sur son genou droit, le menton appuyé dans sa main, l’homme songe. L’homme savoure ces années passées à parcourir la montagne, puis le désert, à la recherche d’une quiétude, quêtant sous ses pas réguliers le sel de la vie. Derrière chaque cime, derrière chaque col, au-delà de l’horizon, il cherchait la dernière rive, l’ultime port où il jetterait l’ancre. Il songe à cette saison où il comprit que son existence, son passage sur terre ne tenait qu’à vivre la quintessence des sentiments. Il songe à ce petit hôtel, niché au cœur de la montagne, qu’il fréquenta voici pas mal d’années. Quelques clients, arrivés des quatre coins du pays, d’horizons, de vies, d’avenirs différents, qui se retrouvaient là, chaque été pour certains, comme dans un second quotidien. Un quotidien qui prenait d’autres significations, où le handicap des uns s’harmonisait avec la validité des autres, où la différence n’existait pas, préférant s’effacer au bénéfice des sens, diffusant dans cette maison un parfum de bonheur, le bonheur des sens. Il se souvient au son du violoncelle, ses pensées enfermées derrière le rideau de l’existence, d’avoir trouvé en cet endroit la voie de la vie, ne retenant plus que la volupté des choses, des animaux, des fleurs, l’essence même de la nature, l’esprit noble des rencontres humaines. Le regard de l’autre et envers l’autre, le sourire, le geste simple qui fait que l’on communique, que l’on se comprend. Une note plus cristalline emplit l’erg de sa vibration. L’homme en frémit. Il lui revient en mémoire les images d’une rencontre entre deux des pensionnaires de cet hôtel.