Théâtre
8,00 €
38 pages
juin 2009
978-2-84921-153-3
La scène ressemble à un vieux plateau de cinéma. Seul un fauteuil « metteur en scène » sur le dossier duquel on peut lire le prénom du personnage principal féminin, une comédienne, occupe l’espace. Les murs sont tels que l’on peut les trouver dans un théâtre. Seul le mur du fond est tendu d’un écran blanc (cyclo). La comédienne évoluera dans cet espace clos et sur des images projetées en fond, et qui apparaîtront de façon intermittente. Celles-ci seront projetées sur deux niveaux différents : le premier niveau montre l’image du film qui se tourne, représentée dans un cadre de taille plus petite que l’écran, et dans un format carré. Le second niveau montre l’image des souvenirs ou des fantasmes de la comédienne, qui occupe toute la surface de l’écran. Ces deux niveaux d’image se fondront quelquefois l’un dans l’autre. Le noir et blanc et la couleur alterneront parfois. Apparaissent, à certains moments, sur l’écran, certains personnages dont nous entendons les voix. Le metteur en scène, lui, n’apparaîtra jamais. La bande son (bruits de plateau, gare, train, rues, chant) est une part importante du spectacle. Elle servira les ruptures de ton et d’action. De même que la musique. Dans le noir, on entend brusquement des bruits de voitures, grincements de pneus. Musique. Sur le mur du fond apparaissent les premières images cinéma : des phares de voitures dans la nuit, Michel est caché dans l’ombre, Maria, exténuée, court dans les rues. Les images disparaissent peu à peu. De nouveau, dans le noir, des détonations de revolver claquent. Puis, des crissement de pneus qui s’éloignent. La lumière se fait sur Maria qui entre sur scène précipitamment. Elle est habillée d’un tailleur sobre sur un chemisier blanc que vient rehausser un foulard de soie.
Maria. — Attendez… Attendez ! Ne tirez pas ! Vous vous trompez ! Vous vous trompez je vous dis !
(Nouvelles détonations. Maria s’écroule, se redresse péniblement, se traîne, s’écroule de nouveau doucement. Une faible lumière demeure sur elle. Elle ne bouge plus. Dans le lointain on entend des cris d’enfants qui jouent. Soudain une voix très présente résonne -comme si elle passait dans un micro d’ordre.)
Le metteur en scène, off. — Coupez ! C’est bon ! C’était parfait, Maria ! On va garder celle-là !
(Lumière générale. Divers bruits de plateau propres au tournage d’un film. Maria se relève. Son chemisier est taché de sang. Une seule tache au milieu de la poitrine. En époussetant ses vêtements, elle se dirige vers son fauteuil et sort de son sac accroché au dossier, un paquet de cigarettes. Elle en tire une qu’elle montre au Metteur en scène – la régie.)
Le metteur en scène, off. — Ouais, tu peux fumer, y en a pour un petit moment… Bien! On place le travelling pour le plan suivant ! Vous préparez le contre-jour dans le fond… Ouais, ouais… Quoi ? Le contre-jour, ouais ! Allez en place ! Ça va, Maria ?
Maria. — … Maria… Maria… Pauvre con ! Putain, je me suis fait mal en tombant ! (Sourire.) Et c’est sûrement pas fini… Dans quel décor je vais m’écrouler la prochaine fois ? Dans la rue Saint-Denis, pardi ! Ou dans l’ombre des arcades, place des Vosges… Ou dans un vieux trou, un sale trou de puits perdu (Elle se remaquille.) Dans la merde ! Puis y vont encore me foutre de l’hémoglobine sur la peau ! C’est dégueulasse ! Mon Dieu, qui je vais tuer ? Hein ? Qui ? Pourquoi ? Je comprends rien à ce scénario. Dans le genre débile, on fait pas mieux ! Et les acteurs ! Les acteurs ! Les autres ! Je les vois jamais ! Y sont où les acteurs ? … Je suis quand même pas toute seule dans cette galère ? (Elle rit.) Des ombres, des figurants sans visage… Et cette équipe ! Oh putain cette équipe ! L’autre là, avec sa belette… Et lui qui comprend rien… J’en ai marre… Merde ! Je me lève ! Je me tire ! Je m’emmerde trop ! (Elle se lève.)
Le metteur en scène, off. — Ton revolver est chargé ?
Maria. — … Oui, je crois…
Le metteur en scène, off. — C’est sûr ?
Maria. — Puisque je te le dis!
(Elle sort son revolver de sa poche et le pointe vers la régie.)
Gérard Vantaggioli
« J’ai les os en marmelade, la cervelle en bouillie. Et l’autre qui se prend pour Visconti ! Qu’est-ce que je peux être conne ! Et si je m’en allais ? ».
Un plateau de cinéma, première : un metteur en scène directif et manipulateur, une équipe absente, et une actrice, seule…
Même plateau de cinéma, deuxième : le metteur en scène donne des indications à l’actrice, seule. Des indications qui ressemblent étrangement à sa vie.
Même plateau de cinéma, troisième : l’actrice franchit la frontière entre la réalité et la fiction, les souvenirs ressurgissent, les personnes disparues réapparaissent…
Moteur ! Sur un plateau de cinéma la comédienne joue. Ou ne joue pas. Les images de sa vie vont et viennent et, peu à peu, remplacent les images du film.
Attention !
Votre panier comporte un livre en souscription, qui doit être acheté individuellement.
Avant de faire tout autre achat, vous devez finaliser votre commande.
Vous pourrez ensuite commander d'autres livres.