Théâtre
15,00 €
90 pages
juin 2008
978-2-84921-130-4
ACTE I
Scène 1.Dans un appartement. Un salon vieilli. Des livres et des feuilles de papiers un peu partout. Un homme seul à son bureau. Entre Astrid.
Julien, se retournant. — Tu rentres tard ce soir. Où étais-tu passée ?
Astrid, posant ses affaires sur le canapé, ne le regardant pas. — Je corrigeais des copies.
Julien. — Tu finissais ton livre…
Astrid, irritée. — Il ne va pas se finir tout seul.
Julien. — Je t’ai attendu pour dîner. (Il se lève et montre la table.) Tu as faim ?
Astrid. — Julien tu devrais rester assis. (Il la regarde, interloqué.) Vraiment, tu devrais te rasseoir.
Julien. — Et si j’ai envie de rester debout ?
Astrid. — Tu as raison, cela ne changera rien. (À elle-même.) Tu auras mal quand même, debout ou assis, quelle importance…
Julien. — Vas-tu enfin me dire ce qu’il se passe ? Cela fait des jours que je t’attends.
Astrid. — Que tu m’attends ?
Julien. — Oui, j’attends que tu reviennes. Tu sais je te connais, je commence à savoir à la longue comment tu fonctionnes. Tu as besoin de vivre à cent à l’heure, de faire plusieurs choses à la fois, cette passion exubérante qui anime tout artiste … Et ces humeurs extrêmes, instables … Peut-être même plus instables que le temps !
Astrid. — Julien ! Ça, c’est toutes les femmes.
Julien. — Tu es indépendante. Tu veux toujours te débrouiller toute seule, et tu ne demandes jamais de l’aide à personne car tu es trop fière pour cela. Tu en dis peu, comparé à ce que tu penses, tout ce qui se passe dans ta tête. Tout ce que tu ne dis pas… Tu vis dans ton monde de littérature et de grands philosophes. Tu cours après un idéal, la gloire peut-être… Je ne sais pas… Si proche et si lointaine à la fois. Personne ne peut t’atteindre quand tu es dans ce monde… pas même moi.
Astrid. — Nous avons déjà discuté de tout cela. Tu as …
Julien. — J’ai promis, je sais. Ne t’inquiètes, pas je m’en rappelle. J’ai promis que je comprendrais, que je ne me mettrais jamais en travers de ta route et que j’accepterais toutes tes lubies d’artiste. Et je l’ai fait, n’est-ce pas ?
Astrid. — Oui, tu l’as fait.
Julien. — Je ne t’ai jamais empêchée de partir, même quand je te savais à un endroit où tu n’aurais pas dû être, ou avec quelqu’un d’autre… Quand je sentais leur odeur sur tes vêtements, je les lavais. Quand tu écrivais pendant des heures et passais tes nuits entières à effacer, écrire, écrire encore et toujours, je t’apportais tes carnets et tes cigarettes. Quand tu partais sur un coup de tête, sans un mot, sans un seul coup de téléphone, rien pendant des jours, je ne te faisais pas la moindre remarque à ton retour. C’est vrai que je t’en ai passé des trucs… Je t’aime tellement.
Astrid. — Julien, qu’est-ce qui te prend ce soir ? Tu ne parles jamais comme cela…
Julien. — Tu veux dire que d’habitude, je me tais ?
Astrid. — Non, d’habitude tu fais comme si de rien n’était.
Julien. — Seulement Astrid, on est à moins de deux semaines du mariage et tu n’as toujours pas choisi ta robe ! Nos parents ont organisé toute la cérémonie. J’ai réservé le restaurant, l’hôtel pour les invités, un groupe de musique qui jouera tes morceaux préférés, la lune de miel, les billets sont arrivés ce matin. Deux semaines en Egypte, comme tu le voulais.
Astrid. — Les gâteaux, les fleurs, les invités… ta mère fait ça si bien. Je ne veux pas la contrarier.
Julien. — Ma mère n’y est pour rien. On dirait que tu te fous royalement de notre mariage !
Astrid. — Mais que veux-tu que je te dise ? Tout ce que ta mère et toi faites est très bien, si ce n’est parfait. Et si je m’en mêlais, je ne ferais que gâcher votre perfection. C’est comme mes bonhommes vert sur le gâteau…
Julien. — Tes quoi ?
Astrid. — J’ai dis à ta mère que je voulais des bonhommes vert sur la pièce montée. Elle m’a répondu que ce n’était pas assez conventionnel et que des bonhommes blanc et rose seraient beaucoup mieux.
Julien. — Si tu veux, je lui dirais de mettre des bonhommes vert.
Astrid, soudain énervée. — Mais on s’en fout des bonhommes vert ! Mon livre sort dans cinq jours ! Et d’ici une semaine, tous les plus grands spécialistes en la matière l’auront entre les mains ! Je dois aussi préparer une conférence de presse, et mon éditeur est impatient de lire mon deuxième livre. Réalises-tu ce que ça veut dire pour moi ? Cet instant je l’ai attendu toute ma vie. C’est pour ça que je suis née, que je suis faite. Mais comprends-tu à la fin, c’est tout le sens de ma vie ! C’est mon destin qui est en train de se jouer, là, sous mon nez, et tu voudrais que je passe à côté ?
Julien. — Mais non, tu es en plein dedans. Nous sommes en plein dedans. Quelle aventure…
Astrid. — Tu ne me prends pas au sérieux. Tu crois que je peux et m’occuper de ce mariage et devenir un grand écrivain. Mais une légende ne s’écrit pas toute seule. Il faut aller la conquérir. Mon talent n’est rien si je ne suis pas entièrement à mon art.
Julien. — Mais tu le sais que tu vas réussir ! Tu le sais depuis que tu es gosse. Tout le monde le sait ! Et moi aussi je le sais ! Alors ?
Astrid. — Alors tu sais ce qui va se passer. (Elle remet son manteau. Lui se rassied. Il la regarde une dernière fois.) Je ne me marierai pas avec toi. Je pars, ne m’attends plus. Je ne reviendrai pas cette fois. (Elle part et referme la porte derrière elle. Lui commence à mettre les papiers à la poubelle.).
Angèle Rouillaux Martin
La Conquête est un quadrilatère amoureux entre Astrid, qui annule son mariage avec Julien pour vivre pleinement sa vie d’auteur ; Philippe, son frère, qui tente désespérément de séduire Julien qu’il aime depuis toujours ; Wallace, l’éditeur, qui espère terminer dans les bras d’Astrid tout en cachant une séparation difficile avec sa femme ; et Julien qui tente de trouver sa place. Personnages complexes et personnalités troubles, chaque personnage évolue de manière inattendue…
Plus qu’une pièce de théâtre, La Conquête met en scène le paradoxe Passion / Raison de l’homme et sa quête de l’absolu. Chaque personnage se cherche lui même, et cherche sa moitié… Qui se trouvera ? Qui trouvera qui ? Reprenant cette belle idée à Montaigne : « Nous ne sommes pas, nous devenons », La Conquête raconte ce devenir, car l’homme doit conquérir sa vie pour être à la hauteur de lui même et de ses espérances.
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