Roman
15,00 €
120 pages
avril 2010
978-2-84921-177-9
Chapitre I
Depuis toujours, Urbain tapait. Tout le temps. Partout. Sur tout. Il tapait sur les tables, il tapait sur les portes, il tapait sur la voiture, il tapait sur des fûts, il tapait sur la cuisinière. Il tapait sur tout ce qui lui passait sous la main, dès lors que l’objet de sa frappe pouvait présenter quelques propriétés de résonance. Mais l’instrument sur lequel il aimait par-dessus tout taper, c’était son tambour. Ou plutôt ses tambours. Oh ! non, pas les vrais instruments à percussion utilisés dans les défilés, tendus d’une membrane en chèvre, mais de modestes jouets d’enfants, à fût de fer blanc revêtu de plastique ou de carton. Il tapait tant et tant dessus que la zone de frappe était toujours complètement distendue en son centre. Il en avait achevé au moins cinq. À tous, il avait fini par leur avoir la peau, à trop taper, trop souvent, trop longtemps, trop fort.Il tapait toujours la même chose : des rythmes de marche militaire. Il avait été littéralement subjugué par la fanfare lorsqu’il avait assisté à sa première cérémonie commémorative dans Saint-Branchs, son petit village du sud de l’Indre-et-Loire : par les clairons, tonitruants, fiers et virevoltants, la grosse caisse, sourde et sérieuse, et surtout les tambours, clairs, retentissants et précis. Leurs roulements, nets, vifs et tranchants, qui mettaient en vibrations toutes ses tripes, faisaient monter en lui une sueur d’extase. Aucun doute : quand on jouait de la caisse claire dans une fanfare, on était le maître du monde.Dès qu’un moment libre se présentait, c’est-à-dire souvent, Urbain se jetait sur son instrument, la tête pleine des images des défilés, de roulements et de claquements. On le voyait déambuler dans la cour comme dans la maison, tambour en bandoulière, marchant au pas, baguettes virevoltantes. C’était une autre personne dans ces moments-là. Le visage radieux, il semblait ailleurs, complètement absorbé par le rythme de ses battements.Les choses se gâtèrent lorsque l’on décida de lui apprendre la musique. Ce serait au conservatoire de Tours, la préfecture toute proche. On le forma d’abord au solfège, comme dans tout bon enseignement. C’en était fini des joyeuses parties de tambour effrénées et insouciantes. Place à la théorie de la musique, aux dictées de notes. Les arpèges, dominantes, tierces et autres quintes majeures n’allaient plus receler aucun secret pour lui. L’éducation allait commencer. On allait le civiliser. Mais avec les gammes diatoniques, les points d’orgues, et les triolets triomphants, c’est l’enthousiasme d’Urbain qui capitula.À la fin de la première année, lors du dernier cours de solfège, il fut demandé à chaque élève de l’école de musique d’effectuer son choix. Chacun devait déterminer son instrument de prédilection. Dès la rentrée suivante, ils bénéficieraient du concours d’éminents professeurs venus de la France entière pour l’apprentissage de celui-ci. Piano par-ci, violoncelle par-là, hautbois ici. Lorsque vint le tour d’Urbain, qui n’y tenait plus, il poussa un retentissant « tambour ! » joyeux qui fit sursauter toute la classe. Après une année de frustrations, enfin il reprendrait du plaisir. La perspective d’intégrer la fanfare municipale n’avait jamais été aussi proche !
Pierre Holop
Urbain n’est ni intelligent ni bête, ni beau ni laid, ni gentil ni méchant, ni riche ni pauvre, ni grand ni petit, ni drôle ni triste. Urbain est sans âge. C’est un individu banal, sans âme ni relief, qui se fond dans la foule. C’est en fait un couillon. Un parfait innocent. Un imbécile heureux. Bref, un benêt accompli.
Ce personnage m’a toujours étonné, intrigué, fasciné. Je l’ai observé, je l’ai épié, je l’ai analysé. J’ai tenté de comprendre. Sans succès. Quelque chose m’interpelle chez ce simple d’esprit : comment arrive-t-il à se frayer un chemin dans notre monde ? Comment un tel naïf se débrouille-t-il pour toujours se tirer d’affaire ? Quel est le secret de ce candide ? J’ai eu beau chercher, je suis toujours revenu à cette même question, lancinante, obsédante, et sans réponse : mais comment fait-il ? Je ne suis parvenu qu’à cette seule conclusion, cette unique certitude :
Urbain n’a ni d’égal, ni d’ego.
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