La douceur de la gloire est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, on l’aime.

Pensée 34

— Réglages ? Réglages !

— Ouais !

— Les projos, c’est bon ?

— O.K. !

— Les micros, la balance ?

— C’est tout prêt !

Fébrilement, on apportait les dernières rustines au décor, pendant que Guy Roger finissait d’être préparé. Le compte à rebours était quasiment en marche et, comme par magie, tout était en place.

Il semblait un peu inquiet, Guy Roger. ça faisait un bail qu’il n’avait pas eu les honneurs du plateau. D’ailleurs, plus il se mirait, plus il doutait. Fallait admettre qu’il avait de la bouteille et que ça se voyait. Rien à voir avec son jeune temps, quand il était en pleine gloire…

Enfin, le corset abdominal faisait illusion et, s’il se retapait financièrement grâce à cette émission, il pourrait s’offrir un petit rajeunissement… Quelque chose de léger, rien de trop voyant. Allez, en piste, mon vieux ! Putain de corset, c’était pas évident à supporter : il fallait sans arrêt forcer sur la voix et, à chaque fois, il avait l’impression de se casser les côtes.

Trois, deux, un… Pas le temps d’avoir le trac… En s’observant à l’image, Guy s’aperçut que la maquilleuse avait forcé sur le fond de teint et le crayon à sourcils. Trop tard ! Quelle conne, cette fille !

Sourire dégoulinant aux lèvres, trémolos dans la voix, Guy Roger retrouva tous ses réflexes. Ce soir, il réinvestissait les plateaux de P.T.V. pour la première de Révélations, un tout nouveau concept télévisuel. Des semaines qu’on y préparait les téléspectateurs. Rien n’avait été laissé au hasard : pour commencer, on avait fait apparaître Guy chaque soir à 19h58 morceau par morceau, façon puzzle. Comme on ne l’avait pas revu depuis quinze ans, forcément le public avait été intrigué. Les jeunes ne le connaissaient même plus ! Les vieux ou les plus de quarante ans, eux, l’avaient oublié. Tout cela à cause d’une sombre histoire de placement pour laquelle il avait été accusé de délit d’initié… Trop injuste… S’il avait dit tout ce qu’il savait des autres investisseurs !

« Bonsoir à tous, je suis tellement, tellement heureux de vous revoir ce soir ! Vous m’avez manqué et je suis ravi de vous offrir un cadeau ce soir, une émission inédite, une émission pleine de révélations ! »

C’était bien, cette insistance sur la date, sur l’idée que la télé ne serait plus jamais la même, pensait Puyrot, le directeur de P.T.V., attentif à ce qui se passait depuis son bureau. Rien à dire, le gars maîtrisait son affaire. Pourtant, dans un premier temps, le président Puyrot ne s’était guère montré enthousiaste : il ne connaissait de Guy Roger que sa réputation d’affairiste, proche de certains milieux politiques, et de jouisseur. Mais il s’était laissé convaincre par le fait que ce dernier n’avait plus rien à perdre, et même serait prêt à tout pour refaire surface.

Pendant ce temps, en vrai bateleur, Guy poursuivait, chauffait la salle et énumérait d’un air gourmand la liste des invités :

— Vous vous posez – et c’est légitime – cette question : pourquoi dans une même émission un célèbre avocat, un journaliste d’investigation et un ancien député ? Eh bien, laissons encore le suspense planer quelques minutes et vous aurez la réponse.

Un orfèvre dans le genre… pensait Puyrot, il avait bien compris qu’il fallait laisser le temps aux retardataires de rejoindre l’émission. Avec un peu de chance, on allait exploser tous les records d’audience ! Finalement, Guy Roger était un bon choix… Il fallait d’ailleurs lui reconnaître qu’il n’avait pas cherché à se la jouer lors de leur première rencontre. Il avait tout craché : les années fastes où tout le monde voulait apparaître dans son émission, hommes politiques, stars de cinéma et chefs d’entreprise célèbres. Il avait raconté comment peu à peu les frontières s’étaient brouillées, rien ne lui paraissait alors inaccessible, il se sentait tous les droits… jusqu’au jour où le juge d’instruction et les flics avaient débarqué chez lui à six heures du mat’. Il était quasiment le seul à s’être fait prendre, le manque d’expérience, sans doute… Et il avait encore confié les quelques semaines de prison, les petits contrats sans intérêt pour des élections de miss, la tournée des supermarchés… Décidément, la vie rendait humble.

Et pourtant, Guy Roger avait encore faim d’honneurs et de gloire, de mirer sa binette dans le poste de télé… Vanitas, vanitatis, « la plus grande bassesse de l’homme est la recherche de la gloire », avait déjà observé Blaise Pascal en son temps. S’il avait pu prévoir…