Brouillard

Polar & Thriller

19,00 

252 pages

juil. 2006

978-2-84921-087-1

 

Chapitre I

Une matinée de Brouillard

 

Cela faisait maintenant vingt minutes qu’il marchait sans but dans le brouillard froid de cet automne triste.

Pauvre jeune homme à l’âme d’enfant, il n’était plus qu’enveloppe de brouillard perdue dans le brouillard, séparation visible de deux mondes invisibles.

Il aurait voulu hurler : « Jeannette ! Jeannette ! » Ces deux mots emplis soudain d’une tendresse encore jamais exprimée auraient résonné longuement dans les montagnes boisées. Leur écho aurait déchiré le manteau de frimas automnaux, et dans la plaie béante ruisselant de l’azur du ciel, elle serait apparue.

Il aurait redit « Jeannette ! », calmement cette fois, avec l’émotion douce d’une larme qui perle sous la paupière.

Il avait toujours rêvé de l’appeler « Maman ! », mais elle n’aimait pas ça. Non pas parce qu’il était un enfant adopté, mais parce qu’elle préférait les liens horizontaux aux liens verticaux, l’égalité à la suprématie parentale, le dialogue au martèlement de l’ordre contenant la sous-jacente proposition : « Je suis ta mère. Donc tu dois m’obéir. »

Son père adoptif était resté quelque part dans la grande maison vide, plus silencieux et taciturne que jamais depuis ces semaines d’absence, de désert, d’insupportable vacuité.

Il était le mari de Jeannette. Ce n’était pas elle qui avait souhaité ce mariage. Eprise de liberté, elle aurait voulu vivre simplement auprès de lui comme une mésange au vol léger qui aurait choisi pour compagnon un vieil oiseau aux ailes brisées, sans cérémonie, par simple amour. Mais il lui avait demandé sa main, et la supplique silencieuse de ses yeux gris l’avait émue au point qu’elle avait dit oui.

Ils n’avaient pas eu d’enfants… sauf lui, adopté dans des conditions qu’il ignorait. Son passé était de la même matière que ce brouillard qui l’entourait. Le Monde d’avant ses cinq ans consistait en une substance impénétrable dans laquelle l’épée fragile de sa mémoire venait se perdre, s’engluer.

Après, il y avait la lumière : Jeannette, qui comme le paysage, alternait les sommets de gaîté et les vallées de mélancolie ; son père, bloc de silence laissant parfois percer une tendresse brutale, inattendue.

Brouillard du passé, brouillard du silence, brouillard de la mélancolie, brouillard de l’absence inexpliquée, comment pourrait-il prendre une consistance dans cet univers d’inconsistance, lui, Mathieu, qu’une douleur sourde aurait dû faire crier ou pleurer, mais qu’elle faisait simplement marcher sans but dans une fuite éperdue venue de nulle part et ne se dirigeant nulle part ?

Combien de temps chemina-t-il ainsi ?

Sans montre, sans soleil, sans le son chéri de la voix de Jeannette annonçant : « Le déjeuner est servi ! », comment savoir ?

Le temps pouvait-il d’ailleurs encore s’écouler dans ce présent intransformable associé pour lui à une seule sensation : la souffrance ?

Il y a deux sortes de souffrance : la souffrance venue de l’extérieur qui meurtrit la chair, la fait bleuir ou lui soustrait son sang, et la souffrance intérieure qui elle-même peut naître de la maladie ou de ses propres pensées. C’est de cette toute dernière famille de douleurs dont Mathieu était la victime. Sournoisement distillé par son cerveau, le mal se répandait dans tout son corps. Né angoisse, il devenait panique. Né inquiétude, il devenait oppression. Né tristesse, il devenait malheur.

Il se mit à courir, sans raison ou peut-être dans l’espoir insensé de sortir enfin de ce rideau de brume et de retrouver le soleil, la transparence de l’air, et surtout Jeannette.

Le souffle court, les jambes tremblantes, il ne pouvait aller très loin ainsi. Il trébucha sur un rocher et s’effondra. Se traînant jusqu’à un fourré, il s’y blottit dans une position foetale. Il voulait la sécurité, la tiédeur, d’un ventre chaud ; s’y réfugier pour n’y plus penser à rien, se laisser dériver, soumis aux seules sensations du confort et de la chaleur.

Son corps grelottant ayant trouvé une position adéquate, il sombra dans l’obscurité froide d’un demi-sommeil agité.

De vagues réminiscences du passé vinrent affleurer à la lueur pâle de sa conscience. Une image vint se former sur la rétine de son oeil intérieur, puis s’y fixer au point d’en devenir obsédante.

 

Elle lui montre un verre tremblant au bout d’une longue main fine. Un liquide couleur d’ambre jaune y clapote. Mathieu veut remonter de son regard le long de la main aux doigts bagués pour découvrir le bras puis surtout le visage de celle qui va porter ce verre à ses lèvres. Mais il n’y parvient pas. Des sanglots d’impuissance le secouent, comme le secouent soudain d’autres mains, rudes et viriles cette fois, poilues et animales, sûres d’elles et de leurs actes au point de vous dégoûter de l’hésitation ou de la réflexion, ou peut-être des deux à la fois.

Mathieu ouvre les yeux pour apercevoir le visage moustachu d’un gendarme se détachant sur un fond de ciel bleu. Le brouillard s’est levé. Seule subsiste une légère brume, aérienne, volatile, presque invisible sans doute pour ceux auxquels l’Amour de la Nature ne donne pas un surcroît d’acuité.

La matinée touche à son terme et c’est au son du chant d’un pinson et en pleine ascension du soleil vers son zénith que le claquement sec des menottes retentit soudain autour des poignets de Mathieu.

 

Extrait

 

Brouillard sur le manoir des Silens

François Bénit

Mathieu fuit dans le brouillard.

Un seul nom obsède ce jeune homme à l’âme d’enfant : Jeannette. Mais le corps de cette dernière a été découvert, calciné, aux abords du manoir où il réside. Pauline, inspectrice à la PJ, est chargée de reprendre et d’approfondir une enquête aux premières conclusions trop hâtives. Disparitions, trafics, résurgences du passé… les pistes se multiplient et s’enchevêtrent pour se terminer les unes après les autres en impasses. L’enquêtrice réussira-t-elle finalement à dissiper le brouillard qui plane sur la demeure des Silens ?
 
Le style foisonnant de François Bénit se mêle à un suspens croissant, au fil des méandres de son imagination qui brouille les pistes et ne cesse de suspendre le lecteur.

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