Le départ

Une petite métairie enfouie au cœur des bois. La maison, dont la façade est typiquement charentaise, est entourée de hangars et deux étables. Elle est située au milieu des champs et des bois, éloignée du monde puisqu’à plusieurs kilomètres de toute autre habitation.En ce soir de septembre 1939, la nuit est tombée. À l’intérieur de la masure, un buffet ancien, une table, deux lits, un berceau et quelques chaises, une grande cheminée dans laquelle flambe un feu de branchages dont la lueur est le seul éclairage de cette misérable pièce.Assise au pied de l’âtre, une jeune femme petite, brune, fragile, douce et très belle, tient sur ses genoux un bébé d’environ neuf mois à la figure ronde et aux yeux bleus, qui prend le sein goulûment.Debout, s’appuyant sur les genoux de leur mère, deux adorables fillettes de deux ou trois ans, l’une châtain clair, l’autre aux longs cheveux bruns ; toutes deux ont ces grands yeux bleus. Elles regardent avec inquiétude la malheureuse qui pleure à gros sanglots le départ de son mari pour la guerre.   À quelques pas, assise sur son train arrière, une chienne de berger, aux poils rayés marron et noir, surnommée Crapule, observe la scène l’air malheureux.Martha dans son immense chagrin, se pose un tas de questions désespérées : que vont-elles devenir ? Comment faire quand on est couturière de métier, se retrouver avec trois bébés, une ferme, onze vaches et un taureau en temps de guerre !Les larmes de la malheureuse redoublent quand elle pense à son mari Virgil qui, par erreur, a été affecté au front. Elle pleure ainsi longtemps, serrant ses chérubins dans ses bras. La pauvre femme n’a même plus conscience du temps qui passe. Puis, à bout de larmes, cette courageuse mère regarde ses enfants : Lilas le bébé, Ninette la petite blonde, Line l’aînée aux longs cheveux bruns.Alors elle se redresse. Il lui faut se battre, tenir le coup. Après avoir déposé la plus jeune dans son berceau, placé les deux autres dans leur parc, couvert tous le monde de baisers, elle les place sous la garde de Crapule. Il va lui falloir soigner les animaux, subvenir aux besoins de sa famille, entretenir et conserver la métairie jusqu’au retour de son mari.Ayant allumé la lampe tempête, Martha se dirige vers les étables. À son approche, le taureau qui n’est pas habitué aux femmes envoie la litière en l’air avec sa patte avant, et beugle d’une façon sourde et sinistre. Roulant des yeux féroces et épouvantables, il tire sur sa chaîne au risque de la casser.Martha terrorisée reste quelques instants interloquée : il lui faut être prudente, n’ayant aucun secours aux alentours. La brave femme se dirige vers la grange, prend une grande fourchée de foin en vrac et courageusement réussi, à la placer dans la crèche de l’animal. Ensuite, pendant que celui-ci mange, elle distribue les rations aux autres vaches. Seulement, ce n’est pas terminé, il va lui falloir aller au puits tout au fond de la cour, et à l’aide d’un grand seau, remplir l’abreuvoir, puis conduire les bêtes se désaltérer. Martha réfléchit : ce n’est pas prudent d’enlever la chaîne du taureau, ce sera plus sage de lui porter de l’eau. Pour la frêle femme, c’est une solution pénible et épuisante. Cependant elle n’a pas le choix.Enfin, tous les animaux sont soignés. La maman nourrit ses enfants, les met au lit, et trouve même la force de leur fredonner une berceuse pour les rassurer. Elle se couche à son tour, mais épuisée, elle ne trouvera le sommeil que très tard dans la nuit.