Eric

Les inclassables

15,00 

178 pages

oct. 2010

978-2-84921-191-5

 

 

 

 

« Sénateur Brampton, Maître, enfin je vous trouve.

 

— Tiens, voilà mon jeune Gaspé, quel vent déchaîné te porte jusqu’à moi ?

 

— Maître, je viens d’apprendre pour Salvalon…

 

— À vrai dire, je t’attendais, calme-toi, assieds-toi avec moi et prends donc un de ces affreux cafés artificiels. Assieds-toi, te dis-je. As-tu déjà bu un vrai café, quand on en trouvait encore ?

 

— Euh… oui, quelques fois, mais…

 

— Quel délice, hein ?

 

— Oui, mais…

 

— Mais, mais arrête avec tes mais, détends-toi, reprends ton souffle. Cela dit, je me souviens : étant jeune, j’allais toujours boire le café chez l’un de mes amis et crois-moi, c’est bien pour l’amitié que je lui portais que j’y allais, car son café était le plus mauvais de tout ce que j’ai pu boire dans ma longue vie. C’était du vrai café, mais ce café artificiel est pourtant bien meilleur. Tu vois, il faut toujours relativiser.

 

— Oui, Maître.

 

— Ne t’ai-je pas pourtant dit cent fois de ne plus m’appeler Maître toutes les cinq minutes ?

 

— Désolé, M…

 

— Bon, oui, je sais pour Salvalon. Il est venu me voir deux jours avant de lancer sa microcassette sur le marché ; nous avons longuement discuté. Il était conscient de l’effet qu’elle allait produire et des conséquences possibles de ses actes. Nous avions prévu que le sénateur Döllinger sauterait sur l’occasion pour essayer de le faire rayer du Conseil des Sages. Ne serait-ce donc pas là, cette grande nouvelle que tu m’apportes ?

 

— Oui, M…

 

— De toute façon ce n’est plus un secret, tout le monde en parle. Ah oui ! Il m’a aussi demandé de le défendre devant la Grande Assemblée de la Confédération. La séance ouvre dans une petite heure maintenant. Tu vois, la journée va être longue et mouvementée. J’espère que tu es au mieux de ta forme, car tu vas devoir épauler ma vieille carcasse pour ce qui sera sûrement sa dernière grande bataille.

 

— Il ne faut pas dire cela, voyons ; de plus, le philosophe Salvalon n’aurait pas pu choisir meilleur défenseur, vous, le doyen du Conseil des Sages, reconnu et respecté de tous.

 

— Respecté de tous ? Moi que l’on traite dans mon dos de vieux sénile, d’emmerdeur à demi fossilisé. Certains aimeraient ne pas me voir fêter mes quatre-vingt-dix ans. Moi-même je me sens las, mais pour notre ami philosophe, je réunirai mes dernières forces, puisqu’il m’a choisi pour plaider sa cause. Je l’ai quand même averti : j’agirai comme d’habitude, en essayant d’être le plus juste et le plus objectif possible. Il ne faut attendre aucun favoritisme de ma part ; quels que soient les sentiments que j’éprouve pour ce singulier personnage, s’il a commis des fautes, il devra en répondre. Je dois te confier que je me sens un peu responsable, car tant de fois je lui ai dit que ses textes n’étaient pas assez engagés, que quand il s’agit de défendre l’humanisme, il n’y a pas de mots trop puissants, qu’il ne faut pas avoir peur de choquer, de provoquer pour faire réagir les gens, d’aiguiser son cynisme. Et voilà qu’il nous pond une petite bombe, qui ne manquera pas de faire mouche. Sa seule faute à mes yeux est d’avoir décidé de la faire publier tout en étant encore en fonction. Il vient de s’attirer de nombreux ennemis au sein de la Confédération.

 

— Mais n’avez-vous pas peur de vous attirer à votre tour les foudres de ces mêmes ennemis, en le défendant ?

 

— Peur, non. Qu’est-ce que je risque à mon âge ? De plus, je me suis toujours engagé auprès du juste et non pas du plus fort, et Salvalon est un être bon et juste. Il n’a jamais trahi notre combat. Il ne pensait pas à mal en créant son modèle, bien au contraire. Il m’a confié qu’il ne regrettait et ne regretterait rien. Il ne se serait plus jamais considéré comme philosophe s’il avait agi autrement. Quel genre de philosophe renierait ses écrits parce qu’il se pourrait qu’ils déplaisent, ou même parce qu’ils engendreraient des risques. Il a été courageux et honnête envers lui-même et donc envers les autres, il peut compter sur moi quoiqu’il advienne.

 

— Mais pourquoi ne pas m’avoir mis dans la confidence, j’aurais pu venir vous assister dans la préparation du dossier de la défense ?

 

— Tout simplement parce qu’il n’y a pas de dossier de la défense, je n’ai rien préparé.

 

— Rien ? mais…

 

— Voilà les mais qui reviennent ! Calme-toi, j’ai quand même quelques petites idées en tête.

 

— Le sénateur Döllinger a dû travailler comme un fou, lui, de son côté.

 

— Comme un fou, oui, je n’en doute pas. Finissons nos cafés et rejoignons la salle de la Grande Assemblée. Tu sais que je me déplace assez lentement, n’arrivons pas en retard pour ce grand rendez-vous.

 

— Oui Maître.

 

— Grrrr !

 

— Euh, allons-y, je vais vous aider.

 

— Merci, nous continuerons à discuter en marchant. Sais-tu que c’est ce cher Aristide qui présidera l’Assemblée aujourd’hui ? Hé oui, notre Président Delatour s’est fait porter pâle, il nous envoie donc son bras droit pour le remplacer. En fait, je le soupçonne fortement de chercher à éviter les embrouilles : cette affaire ne lui plaît guère, il sait que l’Assemblée sera sûrement agitée et qui sait ce qui peut se passer ? Avec les élections qui approchent, et les grandes ambitions qui sont les siennes, ce n’est pas le moment de prendre des risques.

 

— Oui, je vois, cela ne m’étonne pas de lui.

 

— Bah ! Ce n’est pas un mauvais bougre, il est juste un peu nombriliste. De plus, Aristide est un personnage sympathique, assez sage pour quelqu’un de l’exécutif, cela ne fera que détendre un peu l’atmosphère, car Delatour nous crispe tous un peu même si personne n’ose le dire. Quant à Salvalon, je lui ai demandé d’envoyer son secrétaire à sa place, cela aussi apaisera les tensions. De toute façon, je ne crois pas qu’il débordait d’envie de venir ; de plus la séance sera retransmise sur le canal 265. Tiens, prenons l’ascenseur. Je me rends directement à la tribune : j’ai demandé au Président Aristide la permission d’attendre le moment de mon intervention sur le côté de celle-ci, cela m’évitant de descendre de mon box et d’avoir toutes ces marches à affronter. Avantage de vieillard, il a poliment accepté.

 

— C’est la moindre des choses. Je vous accompagne à la tribune, puis je rejoindrai votre box pour suivre votre plaidoirie.

 

— Tu peux dire notre box, tu y es aussi souvent que moi si ce n’est plus et un jour, ce sera peut-être le tien quand tu seras un vieux croûton comme moi, hé, hé !

 

— Attention, l’ascenseur arrive. Allez-y, Maître, après vous.

 

— Merci mon jeune ami. As-tu remarqué, Gaspé, que depuis ce matin les sénateurs de l’entière Confédération semblent vouloir m’éviter ? Tous ceux que l’on a croisés dans les couloirs se sont contentés de me saluer avec courtoisie et respect d’une inclinaison de tête, mais personne n’est venu me serrer la main ou me parler. Ils ont peur de se compromettre avec moi, ils se méfient car ils ne savent pas quel sera mon discours. Normalement, il y en a toujours qui ont besoin d’un conseil, d’un avis sur telle ou telle question, mais étrangement aujourd’hui, rien. Quelle bande de faux culs ! Tu vois, le monde n’a cessé d’évoluer ou de régresser, en tout cas de changer, pourtant s’il y a une chose qui n’a pas changé, une véritable constante, c’est bien les politiciens. Depuis la Rome antique jusqu’à nos jours, ils sont toujours aussi faux, intéressés, nombrilistes et égocentriques. C’est pour cela qu’ils sont aussi prévisibles et c’est un avantage pour nous, n’est-ce pas ?

 

— Oui Maître, mais c’est quand même dommage.

 

— J’en connais un autre qui ne change pas, j’ai eu droit à un Maître et à un mais dans la même courte phrase. Ne fais pas cette tête, je te taquine. D’ailleurs, je voulais justement te parler d’une chose, sans que tu te vexes, mais tu vois depuis le modèle de Salvalon quelque chose me gène un peu. Bon ! Comment pourrais-je te dire cela ? En fait, voilà. Depuis combien de temps travailles-tu avec moi ?

 

— Cinq ans ou cinq ans et demi, je ne sais pas exactement. Attendez que je réfléchisse…

 

— Ne prends pas cette peine, la durée exacte n’a pas d’importance. En résumé, cela commence à faire un bon moment, non ?

 

 

 

Extrait

 

Eric Brampton
ou l’humanisation par diogénisation

François Osmont Brami

Et si vous partiez au bout du monde avec pour seul bagage le simple nécessaire et quelques pensées de Diogène ?

Lorsqu’Éric Brampton quitte la France pour partir à la découverte de la Nouvelle-Zélande, il ne sait pas que son périple va se muer en un voyage intérieur qui va profondément le transformer. En allant à la rencontre de personnages insolites, dans des décors époustouflants plantés dans un autre monde, Éric Brampton part en réalité à la rencontre de lui-même.

Avec humour et bonne humeur, mais aussi armé d’une solide curiosité à l’égard de la nouveauté et de ce qu’il ne connaît pas – ou pas encore –, ce personnage original nous raconte ses découvertes…

C’est ainsi qu’il nous propose un autre regard sur le monde, débarrassé des scories de la vie moderne mais serti de digressions humanistes qui interrogent nos modes de vie et nos certitudes mécaniques. Ou comment, dans un cadre digne de l’aube des temps, les remettre en question en levant la tête. 

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